Le sens de la rencontre

Le sens de la rencontre

#spiritualité , #témoignages , #réflexion
christian salenson

Prêtre du diocèse de Nîmes, spécialiste de la pensée de Christian de Chergé, Christian Salenson a été amené à produire une relecture théologique de l’expérience de L’Arche. Nous l’avons interviewé.

 

Comment avez-vous été amené à élaborer une réflexion sur L’Arche et le handicap ?

Les communautés de L’Arche accueillent aujourd’hui des personnes de diverses religions ou sans appartenance religieuse déclarée, aussi bien en France qu’en divers continents. Les responsables de L’Arche m’ont demandé de les aider à réfléchir à cette situation ? En effet, ils entendent que les communautés de L’Arche restent des « communautés de foi » et que celle-ci ne soit pas renvoyée à la sphère privée. Et ils veulent aussi que chacun soit respecté dans sa foi et sa tradition religieuse. Chacun doit pouvoir vivre dans la communauté avec tout ce qui le constitue.

 

Qu’est-ce que L’Arche nous enseigne sur la rencontre ?

La rencontre, qu’il s’agisse de celle de l’autre croyant ou de celle de la personne avec un handicap, est plus que la relation. Elle réclame une égalité, une parité, une gratuité qui en fait un des expériences les plus décisives de l’existence. Une vraie rencontre est une visitation, à l’instar de celle de Marie et d’Elisabeth où ce que porte l’une trouve écho dans ce que porte l’autre. Or le handicap déséquilibre la rencontre. La personne avec un handicap ne peut revendiquer ses compétences, ses capacités intellectuelles, son rang social. Elle est en situation d’infériorité et de dépendance. Pour que la rencontre soit authentique, elle suppose de la part des accompagnants qu’ils acceptent de laisser leur « personnage » et qu’ils entrent plus loin dans leur humanité jusqu’en leurs propres fragilités. L’expérience de la rencontre avec des personnes avec un handicap ne peut en rester à la simple générosité, ni à la professionnalité. Elle est une rencontre décapante pour qui veut bien la vivre en vérité.

 

Vous écrivez que l’expérience de L’Arche est une expérience pascale. Pouvez-vous expliquer ?

J’ai été impressionné en écoutant les accompagnants de L’Arche. Ils disent que la rencontre des personnes avec un handicap est une rencontre qui à la fois les a ébranlés, les a aidés à accepter la part obscure d’eux-mêmes, leurs propres blessures et à cause de cela a été féconde pour l’ensemble de leur vie. J’y ai reconnu ce que la tradition spirituelle de l’Eglise appelle le mystère pascal. Dans la révélation chrétienne, le signe pascal, le signe de Jonas[1], est la clef principale pour comprendre et vivre l’existence humaine. L’expérience pascale est l’expérience de la vie qui renaît de la blessure, l’amour qui renaît de l’échec, la fécondité donnée au cœur de la stérilité, etc.

Le centre de l’expérience de L’Arche est cette rencontre au cœur de la fragilité de l’un et de l’autre, dans laquelle une promesse de vie est donnée à l’un et à l’autre.

A l’encontre de certains discours pieux et à mes yeux blasphématoires, il faut affirmer avec force que le handicap est un mal que rien ne saurait justifier. Mais de cette situation d’échec, de la vie peut renaître ! Jésus-Christ mort et ressuscité en a révélé la force et l’étendue, mais l’expérience pascale de la vie humaine n’est pas réservée aux chrétiens. Elle est offerte à tout homme, « d’une façon que Dieu connaît », comme l’a affirmé audacieusement le concile[2].

 

L’interreligieux dans L’Arche peut-il inspirer l’Eglise ?

Un lien étroit unit la différence du handicap et la différence interreligieuse. Ces différences-là convoquent chacun sur l’acceptation de l’autre. L’altérité est certes déstabilisante mais porteuse de promesse, car « l’Esprit joue avec les différences »[3] pour nous apprendre la communion plus loin que nos repères habituels et pour nous transformer profondément nous-mêmes. Voilà pourquoi nous avions parfois des craintes face à des personnes avec un handicap ou d’autres traditions religieuses…

L’Eglise a relevé le défi de la pluralité religieuse depuis le concile Vatican II en reconnaissant sa dépendance structurelle au judaïsme, en affirmant son « estime » envers les musulmans, en confessant que, selon les mots mêmes du concile « avec nous ils adorent le Dieu unique et miséricordieux », alors même que les points de vue sur Dieu sont différents. Elle affirme son respect sincère envers toutes les religions dans lesquelles elle reconnaît « un rayon de la Lumière » christique. Les chrétiens progressivement apprennent ce nouvel art de vivre en chrétien…

 

L’Arche est un « signe sacramentel », osez-vous…

J’ai affirmé que « L’Arche est un signe sacramentel ». Que recouvre cette expression ? L’Arche est là comme un signe. Elle est un signe pour le monde. Ceux qui ont le moins de compétences reconnues sont un don pour l’humanité. Ils nous permettent de comprendre notre humanité vraie plus loin que nos diplômes, notre rang social, nos titres. Ils sont un signe pour l’Eglise dans son option privilégiée pour les pauvres, et dans son acceptation de sa propre précarité. Ils sont un signe pour chacun de nous. La part fragile de nous-mêmes, nos blessures affectives, morales, psychologiques quand elles sont reconnues et acceptées sont aussi source de vie nouvelle. Voilà pourquoi avec l’apôtre Paul nous pouvons reconnaître que si dès maintenant nous avons part à la mort du Christ, nous avons part aussi à sa résurrection. Il nous est donné de vivre au jour le jour ce que nous confessons dans la foi.

 

 

Recueilli par Cyril Douillet



[1] Luc 11, 29

[2] Gaudium et spes 22, §5.

[3] Christian de Chergé, « Testament », L’invincible espérance, Bayard 1996, p223